Les nuits sans sommeil de Bob Kane

Concernant les adaptations cinématographiques de Batman, le générique est toujours pour moi un mauvais moment à passer. Car la mention "Batman est une création de Bob Kane" est sans nul doute un des plus grands mensonges de l’Histoire. J’en fais trop ? Peut-être.

Dans les années 30, un dessinateur new-yorkais nommé Robert Kahn roule sa bosse chez les éditeurs en publiant quelques histoires sans saveur. Khan n’est pas très doué, mais à l’époque, le marché de la BD explose et la demande est immense. Démarchant National Periodical (éditeur de Superman), Khan est gentiment invité à proposer un personnage de même tonneau. Après un week-end de réflexion, Kahn (qui a commencé à signer Bob Kane) crée … Bird-Man, un acrobate en collant rouge. Kane fait évoluer le nom vers Bat-Man puis montre les croquis à son pote Bill Finger, alors vendeur de chaussures. Finger propose d’ajouter une teinte grise au costume et d’ajouter des oreilles pointues au masque.  Kane s’exécute et demande à Finger d’écrire le premier script de "Bat-Man". Il le prévient : il ne sera pas crédité, mais bien entendu, ils s’arrangeront entre eux pour les histoires d’argent.

La suite ira vite : Batman est un succès immédiat mais l’éditeur se rend vite compte que les scénarios sont bien plus élaborés que le graphisme de Kane. Très bien conseillé par son père et une myriade d’avocats, Kane s’assure quand même d’être reconnu comme seul créateur du personnage et négocie une rente à vie. Aussitôt fait, il ne touchera plus jamais un crayon et passera le reste de son existence à errer de cocktails en cocktails, à perdre son argent dans des salles de jeux et à tenter de coucher avec des starlettes de troisième ordre. Sur la fin, il se vantera de faits d’armes improbables, comme une idylle torride sur une plage avec … Marylin Monroe. Le fait que Bob Kane soit un escroc pourrait ne pas être si grave. Mais il faut regarder le documentaire Batman and Me pour voir ses proches littéralement suer devant la caméra en essayant de lui trouver des qualités humaines. Il faut supporter, dans les archives, son ton satisfait, son teint halé de vieil oisif et la vacuité de ses propos quand il parlait de bande dessinée avec autant d’amour qu’un agent immobilier évoquant une niche fiscale. Il faut entendre son biographe admettre, à peine gêné, que les expressions préférées de Bob Kane étaient "Moi", "Je" et "Moi Bob Kane, créateur de Batman". Comme s’il avait quelque chose à se reprocher ? Un peu, oui. Après avoir co-crée Batman, Bill Finger a développé le mythe durant vingt ans, créant le Joker, Catwoman, Robin, Alfred, Double Face ou encore Gotham City. Reconnaissant ses talents (et son caractère accommodant, je suppose), DC lui demanda de développer un autre personnage. Il s’agissait de la première mouture de Green Lantern. Puis un jour, il fut jugé trop vieux, trop lent, trop daté et fut jeté avec l’eau du bain. Il fut renvoyé de DC Comics et mourut en 1974.

Quant à Kane, il continua à parader encore 25 ans, à acheter des limousines et à ressasser (croquis antidatés à l’appui), sa version de la création de Batman, à laquelle plus personne ne croyait. Lui aussi, après des dénégations pathétiques avait consenti à admettre l'existence de Bill Finger. Mort en 1998, Kane a quand même pris le soin de commander la pierre tombale la plus narcissique de la Création. Je vous laisse lire, c’est fascinant. A croire que cet ultime mensonge devait l’aider à conjurer le sort qui l’attendait dans l’au-delà. Ici bas, les historiens reconnaissent enfin le rôle essentiel de Finger et la part très incertaine de Kane dans l’animation du mythe. Ca ne change rien pour ses héritiers qui continueront encore longtemps à voir arriver des camions de dollars. Mais au moins sait-on que l’autoproclamé créateur de Batman doit s’attendre à une postérité chahutée. Et cette fois, même les avocats de son père ne pourront rien y faire.

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