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En Syrie, la faim est une arme de guerre

VIDÉO - Encerclés par l'armée, plus d'une centaine de civils du camp palestinien de Yarmouk seraient morts de famine.

Correspondants au Caire et à Jérusalem,

Il y a d'abord cette photo, diffusée fin février par l'ONU, d'une chenille humaine affamée, rampant à perte de vue entre des carcasses d'immeubles du camp palestinien de Yarmouk dans l'espoir d'accéder à un point de ravitaillement. Et puis ce rapport d'Amnesty International, publié lundi, qui dresse un tableau alarmant des conséquences de la sous-nutrition locale provoquée par l'encerclement militaire. Près de trois ans après le début de l'insurrection contre Bachar al-Assad, la descente aux enfers des habitants de Yarmouk, à Damas, résume à elle seule l'horreur du quotidien syrien. «Les forces syriennes commettent des crimes de guerre en utilisant la faim des civils comme une arme de guerre», avance Philip Luther, responsable d'Amnesty au Moyen-Orient, en évoquant des «témoignages poignants de familles réduites à manger des chats et des chiens et de civils touchés par des tireurs embusqués alors qu'ils cherchent à manger».

Créé en 1954 à quelque huit kilomètres au sud du centre de la capitale syrienne, le «camp» de Yarmouk s'est transformé au fil des années en un véritable quartier intégré dans le tissu urbain où cohabitent palestiniens et syriens. Mais depuis juillet 2013, il est l'objet d'un siège systématique des forces du régime. Sous prétexte de vouloir y déloger les insurgés, elles s'attaquent sans distinction aux bâtiments civils - écoles, centres de soin, mosquées - tout en bloquant l'entrée de la nourriture et des médicaments pour des milliers d'habitants. Et ce, en dépit d'une trêve négociée à Genève en début d'année. «Les habitants avaient un peu repris espoir fin janvier lorsqu'une trêve a été conclue mais celle-ci a rapidement volé en éclats, et ils se trouvent de nouveau pris en étau entre l'armée et les rebelles. Plusieurs centaines de combattants du Front al-Nosra et d'autres factions extrémistes, qui avaient accepté d'évacuer Yarmouk, y ont depuis repris pied et les bombardements du régime ont recommencé de façon sporadique», raconte Ahmed (un nom d'emprunt), un réfugié palestinien affilié au Front populaire de libération de la Palestine qui vit à Damas et se rend au moins une fois par semaine à Yarmouk. Joint au téléphone parLe Figaro, il précise que les colis, livrés il y a un mois par l'ONU, ont été consommés et que les habitants, minés par la famine, ont dû reprendre leur quête désespérée de nourriture. «Ceux qui en ont les moyens s'achètent des biens de première nécessité à prix d'or, mais la plupart en sont réduits à manger des plantes ou des animaux morts pour survivre», dit-il.

Stratégie de l'étranglement

D'après Amnesty International, près de 200 personnes seraient ainsi mortes de privation, dont 128 de faim, en huit mois. Au moins 60 % des quelque 20.000 civils bloqués dans le camp souffrent de malnutrition. La plupart des habitants ne mangent plus de fruits et légumes depuis bien longtemps. Le prix d'un kilo de riz peut attendre 100 dollars au marché noir. Yarmouk est un exemple parmi tant d'autres de la tragédie syrienne: selon l'organisation, son siège n'est que «le plus meurtrier d'une série de blocus armés dans d'autres zones civiles, imposés par les forces armées syriennes ou des groupes armés d'opposition à 250.000 personnes à travers le pays».

Cette stratégie de l'étranglement est également lourde de conséquences sur les hôpitaux de Yarmouk, nombreux à avoir dû fermer leurs portes par manque de matériel, y compris le plus basique. Un fléau qui touche le reste du pays. Dans un nouveau rapport, également rendu public lundi, Save The Children estime à 60% le nombre d'hôpitaux endommagés ou détruits depuis le début du conflit syrien. «Le système de santé de la Syrie connaît un tel chaos que l'on nous a parlé de médecins utilisant de vieux vêtements en guise de bandages et de patients qui choisissent de se faire assommer à coups de barres métalliques pour perdre connaissance, parce qu'il n'y a plus de produits anesthésiques», peut-on lire dans le rapport de l'ONG.

La Syrian American Medical Society, citée dans cette même enquête, estime à 200.000 le nombre de personnes mortes de maladies chroniques depuis le début du conflit en raison d'un manque d'accès aux traitements. Des épidémies comme la rougeole et la méningite se démultiplient. Quant à la poliomyélite, qui avait été éradiquée en Syrie en 1995, elle touche aujourd'hui jusqu'à 80. 000 enfants, d'après Save The Children. À la pénurie en médicaments, s'ajoute également le manque de ressources humaines. En trois ans de conflit, plus de la moitié des médecins ont fui le pays.

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