"La guerre urbaine, c'est la victoire de la conduite sur la planification"

Alors que les forces irakiennes et alliées cherchent à reprendre Falloujah, l'éclairage de deux spécialistes sur la guerre urbaine.

Jean Guisnel

Des soldats de la 11e brigade de parachutistes participent à un exercice de combat en zone urbaine, le 7 novembre 2007, dans la zone commerciale de Cahors afin de tester la validité des modes offensifs et défensifs. 
Des soldats de la 11e brigade de parachutistes participent à un exercice de combat en zone urbaine, le 7 novembre 2007, dans la zone commerciale de Cahors afin de tester la validité des modes offensifs et défensifs.  © AFP

Temps de lecture : 5 min

Frédéric Chamaud et Pierre Santoni, respectivement chef de bataillon et colonel, sont des spécialistes de la guerre urbaine. Ils ont tous deux été cadres au centre d'entraînement aux opérations en zone urbaine (CENZUB) au camp militaire de Sissone (Aisne). Ils viennent de publier ensemble L'Ultime Champ de bataille. Combattre et vaincre en ville *. C'est une référence utile pour mieux comprendre les guerres actuelles, singulièrement la bataille en cours à Falloujah, que les forces irakiennes et alliées cherchent à reprendre à Daech. Interview.

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Le Point.fr : Pourquoi qualifiez-vous la guerre urbaine d'« ultime champ de bataille » ?

Pierre Santoni : De tout temps, les chefs militaires ont tenté de choisir le terrain où affronter leurs adversaires. Durant plusieurs siècles, les armées se sont très largement affrontées dans la plaine. Sans remonter à la guerre de Troie, les villes étaient surtout concernées par des sièges. On n'y combattait pas vraiment à l'intérieur des remparts, car, une fois ceux-ci tombés, les assiégés se rendaient et la ville était très souvent mise à sac.

Frédéric Chamaud : Aujourd'hui, la zone urbaine est une « égalisatrice de technologies ». C'est le terrain où un ennemi peut s'estimer capable de remettre en cause les avantages d'une armée moderne, principalement fondés sur la technologie. Notamment en France, la ville avait pu être le terrain d'émeutes urbaines au XIXe siècle, mais pas celui d'affrontements entre deux forces équilibrées. Cette utilisation de la ville comme champ de bataille est assez récente. Pour notre part, nous situons ses débuts à la guerre d'Espagne en 1936 et à la guerre sino-japonaise de 1937.

Pourquoi écrivez-vous que, du point de vue de la guerre en ville, Stalingrad serait un « mythe » ?

P. S. : C'est d'abord devenu un mythe à cause de la littérature, du cinéma. Avec notre regard actuel, on se rend compte que les effectifs engagés atteignaient des niveaux ahurissants. Pour autant, nous pensons que cette bataille n'a pas été bien menée, notamment par les Allemands qui se sont jetés tête baissée dans le dispositif soviétique. Ils n'ont pas tenu compte des leçons de Madrid quelques années plus tôt. En réalité, la victoire n'a pas eu lieu dans la ville. Avec l'opération Uranus, les Russes ont réussi une feinte, une manœuvre d'encerclement. Mais le dénouement ne s'est pas produit en ville, même si Stalingrad reste la « mère de toutes les batailles urbaines », notamment en symbolisant la résistance acharnée au IIIe Reich.

Vous évoquez les très dures conditions physiques et psychologiques du combat urbain aujourd'hui et pensez que rien n'est plus proche du combat des tranchées de la Première Guerre mondiale. Pourquoi ?

F. C. : Dans la guerre urbaine, le face à face entre soldats, singulièrement les fantassins et les sapeurs, n'est jamais très loin du corps à corps. Nous n'assistons plus vraiment à des combats à la baïonnette, mais les combattants sont des hommes, pas des missiles ou des drones. Le combat urbain en zone confinée fait appel à tous les fondamentaux de la guerre. Il conduit à redécouvrir la manœuvre et le duel.

Vous évoquez la bataille de Bassorah (2003), en Irak, en soulignant que les Britanniques qui y ont combattu étaient les plus compétents en combat urbain, grâce à leur expérience en Irlande du Nord. Pouvez-vous préciser ?

P. S. : L'armée britannique sortait alors de pratiquement trente ans d'affrontements urbains en Irlande du Nord. En termes de savoir-faire tactique, de relations avec les populations civiles, de mise en œuvre d'une stratégie de combat urbain, ils ont fait preuve de capacités uniques, réutilisées à Bassorah. On a pu noter les procédés originaux d'entraînement et d'instruction permettant aux combattants d'anticiper des réactions hostiles de façon, par exemple, à éviter des mouvements de population. Ils étaient alors l'armée de l'Otan avec la plus grande expérience de ce type de combats. N'oublions pas que les IED (« Improvised Explosive Device ») apparaissent en Irlande du Nord dès 1972 et que, cette même année, l'armée engage des blindés du génie dans la ville de Belfast, lors de l'opération Motorman. Dans les années 1990, ils font face à une campagne de sniping (tireurs d'élite) en ville de la part de l'IRA. C'est alors qu'ils vont développer ce que nous appelons la micro-tactique : modes de déplacement en zones hostiles, équipements spécifiques comme les vêtements en Gore-Tex, etc.

Et pourtant, vous expliquez que l'expérience des soldats britanniques ne leur a pas suffi à Bassorah.

P. S. : Ils ont rencontré de très sérieux problèmes, perdant des soldats et se faisant détruire des blindés qui furent incendiés. Malgré le fait qu'à cette époque les Britanniques étaient les seuls à disposer de centres de préparation spécifiques, propres à l'entraînement à la guerre urbaine.

F. C. : Mais ils ont rencontré un niveau de violence supérieur à celui qu'ils attendaient. Ils ont toutefois bien réagi, sans se laisser submerger. C'est pour cette raison que nous expliquons que la zone urbaine rend humble.

Et vous conseillez aux soldats engagés dans ce type de combats d'employer des « hooligan tools » pour faire face aux imprévus…

F. C. : Il s'agit surtout d'« outils de cambrioleurs », qui permettent de pratiquer des effractions : pieds de biche, haches, pics à glace, bêches…

Vous évoquez Mogadiscio en 1993, qui a conduit à la défaite d'une coalition conduite par les États-Unis. Cette situation n'est-elle pas la pire en même temps que la plus probable, situation à laquelle l'armée française pourrait être confrontée dans l'avenir ?

P. S. : En 1993, en Somalie, les armées engagées sortent de la guerre du Golfe, dont le succès tactique a impressionné. En Somalie, la mission humanitaire tourne mal, avec un niveau de violence extrême. N'oublions pas que les Italiens engagés sur le check point Pasta y vivent les combats les plus durs auxquels ils ont été confrontés depuis la Seconde Guerre mondiale. Et les Français du 5e RIAOM conduits par le colonel de Saqui de Sannes vont également faire face à une violence vraiment inaccoutumée, pas vue peut-être depuis les guerres d'Indochine ou d'Algérie. Nous voulons dire aussi que chaque territoire urbain, chaque cas, est unique. C'est la victoire de la conduite sur la planification.

* Pierre de Taillac, 224 pages, 24,90 euros.
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Commentaire (1)

  • guy bernard

    Je crois que nous parlons la à tort de méthodes
    nous avons une armée peu préparée aux interventions urbaines alors que nous avons un RAID et un GIGN reconnus comme leaders mondiaux pour ses interventions urbaines.
    faut-il donc confier la tâche à l armée ou la confier à des spécialistes des opérations urbaines tels que nous les avons et qui peuvent évoluer en fonction des besoins ?
    ps : par ailleurs, il y a un lien de gestion du temps chez paulus (à Stalingrad) et Vercingétorix (à Alésia) : tous deux ont attendu sans comprendre ce que faisait l adversaire.